À 200 000 voix près, et malgré la scission avec Bruno Mégret qui en a rassemblé plus de 600 000, le Menhir entre dans l’Histoire et fait trembler toute une batterie de politiciens et de médias. L’entre-deux-tours va voir une mobilisation massive en termes de manifestations et de publications dans la presse, pour exorciser ce qui apparaît comme une menace terrible. Jany Le Pen raconte que lorsque son mari l’appelle après les résultats, la première chose qui le préoccupe est le suivi vétérinaire de leur chien : alors que les journalistes assaillent le téléphone familial et que les manifestants crient “Non à Le Pen” dans Paris, l’appel du maître de maison arrive, et sa demande pressante est “Est-ce que tu es allée chez le vétérinaire chercher le médicament ? ”. Comme quoi la panique n’était pas la même dans tous les camps.
Comme le MNR avec le FN, la gauche était divisée de son côté : le PCF et le PS se tiraient la bourre, devant plusieurs candidats plus petits ce qui fait qu’aujourd’hui encore on voit des gens reprocher à Taubira d’avoir “volé” le second tour de Jospin. Autre facteur qui aura permis le score de Jean-Marie Le Pen.
Pourquoi tant de votes ?
Et puis le vote FN, en plus d’une adhésion sincère au côté populiste et rassembleur du parti, est déjà un vote “populaire”, un vote de protestation : le chômage est avec l’immigration et la délinquance une des principales priorités des électeurs FN. Ce sont aussi les ouvriers, les employés, les chômeurs et les ruraux qui constituent les groupes où le vote FN est le plus fort. L’héritage poujadiste ne ment pas : voter Le Pen, c’est exprimer une frustration, un cri du coeur face à l’état du pays, sans que cela implique nécessairement une quelconque haine ou tendance fasciste. Les retraités, touchés par le conservatisme ou par l’image d’ancien combattant du Menhir, sont aussi nombreux à soutenir le FN en 2002. Le mécontentement à l’égard de Jospin, du PACS, une forme d’euroscepticisme ont aussi joué leur rôle pour gonfler le vote Le Pen. Tout un éventail de facteurs parfois hétéroclites qui sont plus complexes que les caricatures que l’on a souvent fait du parti à la flamme.
Un moment historique
L’élection présidentielle française de 2002 restera ainsi dans les annales comme une surprise politique majeure. La percée de Jean-Marie Le Pen au second tour a été le résultat d’un contexte socio-politique complexe, qu’on ne saurait réduire à des haines irrationnelles. La victoire écrasante de Jacques Chirac ne permet pas de parler de victoire pour le FN, mais un signal est passé, celui d’un intérêt pour le FN, pour les idées et le programme défendus par la figure de Jean-Marie Le Pen. Plus de vingt ans après, les lignes ont bougé dans bien des sens, mais 2002 reste une référence historique pour le FN/RN.
Et dans les manuels scolaires, en histoire ou en éducation civique, il n’est ainsi pas rare de voir le fameux écran de TF1 avec les résultats du premier tour, comme témoignage de la marque du Menhir dans l’histoire politique française, jusqu’aux portes du XXIe siècle.