1953, un sinistre comme on en voit peu en Europe du Nord de nos jours frappe les côtes néerlandaises : le niveau de la mer monte brutalement, un véritable raz-de-marée couvre 10% des terres agricoles, emporte près de 30 000 animaux et tue environ 1 800 personnes. 70 000 autres se retrouvent déplacées, les digues du pays ont cédé à des dizaines de points.
A Paris, Jean-Marie Le Pen est étudiant en droit, célèbre dans le Quartier Latin pour sa descente et pour son tempérament bagarreur.
Le jeune homme est encore marqué par la guerre, l’occupation, le sentiment d’une société divisée. Alors que la Guerre Froide s’établit, il est touché par la détresse des Néérlandais et veut construire à son échelle une Europe solidaire.
Et là, ce qu’on ne peut appeler autrement qu’un culot monstre entre en scène : de la part de Jean-Marie Le Pen, ce n’est ni la première ni la dernière fois. Il rentre dans le premier café venu, demande à téléphoner, et appelle l’Elysée.
“– Je voudrais parler au président de la République !
– Qui le demande ?
– Le Pen, président de la Corpo de droit !
– Je vous le passe.”
Et sur ce titre d’association étudiante balancé avec aplomb, Jean-Marie Le Pen se retrouve en ligne avec Vincent Auriol, premier Président de la IVe République, et son accent toulousain qui roule dans le combiné. Ils ont été présentés auparavant à un gala étudiant, Auriol sait à quel personnage il a affaire.
“– Alors, Présideng, qu’est-ce qu’il y a pour ton service ?
– M. Le Président, de terribles inondations viennent de frapper la Hollande. Nous, étudiants français, souhaiterions témoigner que nous ressentons cette catastrophe comme touchant directement notre pays et pour cela envoyer à leur secours un contingent d’étudiants français volontaires.
– Je t’approuve et suis disposé à vous aider, mais je pars ce soir pour Muret. Je laisse mes consignes à Pleven, adresse-toi à lui et bonne chance.”
C’est la naissance de l’éphémère GUSI, le groupement universitaire de secours immédiat, qui après une campagne de tractage éclair recevra 120 candidats, dont 40 seront admis à partir. Parmi eux, le futur maire de Nice Jacques Peyrat, ou Rikardos Someritis qui deviendra un fameux éditorialiste socialiste en Grèce, des sportifs, quelques chefs scouts, des secouristes, de jeunes militaires.
À force de coups de pouce des administrations et des commerçants parisiens, le GUSI part en train avec un chargement de rations et de bottes. En Hollande, nouveau coup de culot : Jean-Marie Le Pen arrive à rencontrer le ministre de la Gestion des Eaux. Celui-ci ne sait pas bien quoi faire de 40 bénévoles électrons libres, et les affecte à la réparation des digues avec l’armée à Schouwen-Duiveland.
Passée la méfiance des premiers jours, dans un pays aux relations historiquement compliquées avec la France, l’entrain et le sérieux des étudiants les amènent à fraterniser avec les soldats. Ils seront ensuite reçus triomphalement dans plusieurs universités d’Amsterdam pour trois jours de festivités.
Le GUSI rentre peu après de ce qui sera son unique mission, avec un impact réduit mais un dévouement qui aura marqué sur place. Son jeune chef en garde un souci du peuple, des plus vulnérables, de l’Europe aussi, au Parlement de laquelle il siégera 31 ans plus tard. Et les travaux avec l’armée, en treillis et rangers, annoncent l’engagement militaire en Indochine où il partira l’année suivante suivi de son ami Jacques Peyrat.
Jean-Marie Le Pen fut aussi un peu, et plus tôt qu’on le croirait, une figure européenne.
Et peut-être reste-t-il encore, à Schouwen-Duiveland, un doyen de village qui se souvient d’un jeune colosse venu avec quarante Français refaire les digues des Pays-Bas.