La situation internationale en 1990 n’est pas des plus apaisées. L’Irak lorgne les champs pétroliers de son petit voisin koweïtien, et n’admet pas sa récente indépendance en 1961. Saddam Hussein lance l’invasion du Koweït le 2 août. Les réactions sont outrées en Occident, l’embargo suit rapidement de la part de l’Europe et des Etats-Unis. La situation n’allant pas vers la désescalade, les semaines suivantes voient le déploiement massif de troupes américaines dans la péninsule arabique, sans qu’un conflit ouvert entre Irak et Occidentaux soit encore à l’ordre du jour. Mais c’est la configuration qui approche à grands pas.
La riposte de Saddam ne se fait pas attendre : près de 3000 ressortissants occidentaux en Irak appréhendés et répartis sur les sites stratégiques, en guise de boucliers humains pour parer à toute déclaration de guerre.
Jean-Marie Le Pen a alors une réaction inattendue aux événements, par convictions et, il l’admettra lui-même, un peu par esprit de contradiction : il désapprouve publiquement l’opération. Coup de tonnerre alors que l’opinion publique est massivement en faveur de l’engagement en Irak, y compris au sein du FN qui par anticommunisme reste à l’époque très atlantiste.
Pour le Menhir, la France et l’Europe n’ont pas à se mêler des affaires irakiennes qui les concernent peu. Il a aussi une certaine sympathie pour les Irakiens : son ami Jean-Claude Martinez, président du groupe d’amitié franco-irakienne à l’Assemblée, en a eu un certain nombre comme élèves en fac de droit, l’un d’eux est même devenu doyen de l’Université de Babylone à Bagdad ! Jean-Marie Le Pen essuie des rebuffades dans son parti et chez ses soutiens, mais il ne démord pas de sa position.
Le 26 août, le président autrichien Kurt Waldheim parvient à la faveur d’un voyage de médiation en Irak à rapatrier avec lui 96 de ses compatriotes. Alors que la présidence de Mitterrand reste ferme dans son hostilité à Saddam, Jean-Marie Le Pen est inspiré par Waldheim et voit une occasion de jouer les trouble-fête en même temps que d’acquérir une stature internationale. Après des déclarations adressées à l’ambassade d’Irak à Paris, et des négociations en parallèle avec le mystérieux Shamir Tawfik, journaliste parisien et membre des services irakiens à ses heures perdues.
L’idée est alors d’envoyer une délégation du FN, avec par exemple Charles de Chambrun, ex-RPR respecté et fin connaisseur des pays arabes. Mais l’Elysée a vent de l’opération : non seulement cela va à l’encontre de la politique de Mitterrand, mais en plus on ne va pas laisser Le Pen faire un coup d’éclat ! Le ministre des Affaires Etrangères Roland Dumas fait pression sur l’ambassade, en menaçant d’ôter à l’Irak toute velléité d’appui diplomatique français dans le conflit.
Perdu pour perdu, Saddam ne va pas spéculer sur un improbable revirement de Mitterrand : il invite finalement Jean-Marie Le Pen le 18 novembre, à Bagdad.
Quand la petite délégation FN atterrit à l’aube à Bagdad, une section la salue, avec drapeau, comme pour la visite d’un chef d’État. La scène est diffusée à la télévision irakienne sur fond de musique classique, l’imagerie est celle d’un chef d’État pour le Menhir. Rare et étrange moment d’exposition hors des médias français, face à un ostracisé de la géopolitique qui reste des plus sympathiques dans l’entrevue.
Jean-Marie Le Pen et ses collaborateurs séjournent quelques jours à Bagdad, le temps de rassembler des otages. Certains refusent d’être secourus, ne voulant pas revenir en France grâce au Front National ! Il ramène quand même avec lui 53 otages français dans l’avion, jusqu’à l’aéroport de Mulhouse, à l’écart de la presse sur ordre de Mitterrand.
L’aventure se finira donc bien et pour le Menhir et pour les otages, ajoutant un nouveau fait d’armes rocambolesques à la biographie du patron du FN. Et l’espace de quelques instants, les projecteurs de la scène internationale auront éclairé le “chef de bande” de La Trinité-sur-Mer.