Au collège de Lorient, “Jean” le fils de pêcheur doit faire ses preuves face à ses camarades bourgeois, à l’étude mais aussi dans la cour de récréation. C’est ainsi qu’il connaît ses premières bagarres.
Plus tard, à la Corpo étudiante, les sorties de bar animées ou les tensions avec les gorilles des cabarets font partie du paysage. Sans être non plus un cogneur aviné, Jean-Marie Le Pen reconnaît lui-même une vie étudiante un peu tumultueuse, avec une bonne dizaine d’altercations diverses. Il y a tout de même quelques scènes rocambolesques, comme ce soir en 1952 où après une bagarre avec des ivrognes le colosse breton arrache au mur un lavabo branlant afin de libérer le passage.
Le grand changement pour Jean-Marie Le Pen dans le rapport à la violence “du quotidien”, c’est mai 68. Il le raconte dans ses Mémoires, la grande différence avec les empoignades étudiantes et l’apparition des armes, l’escalade dans la violence : casques, boucliers, barres de fer et battes de base-ball… et puis le durcissement des oppositions, des groupes extrémistes qui se haïssent, au risque de se tuer parfois, bien au-delà des simples engueulades de la Corpo où les coups à boire succédaient quand même souvent aux coups de poing.
Il reproche autant cette escalade de la violence aux groupuscules d’extrême droite qu’à ceux d’extrême gauche, les uns se créant en réponse aux autres et ne se calmant pas au fil des années. Alliés un temps du FN, les militants d’Ordre Nouveau ne trouvent pas davantage grâce à ses yeux : le Menhir avouait comprendre le départ de Georges Bidault du FN par refus de côtoyer les nervis d’ON. Ceux-ci redoubleront d’ailleurs de violence après avoir échoué à s’imposer parmi les cadres du Front National. Il livre le fond de sa pensée sur tout ceci dans le deuxième tome de ses Mémoires, Tribun du peuple :
Du point de vue humain, quelque chose me gênait, et me gêne de plus en plus aujourd’hui, le changement de nature de la violence que je percevais dans les bagarres. On avait l’habitude que « les cognes » (la police) frappassent parfois dur et sans discernement, mais les militants politiques de mon temps, quand ils se battaient entre eux, le faisaient le plus souvent avec les poings, quelquefois avec les pieds, généralement d’homme à homme et sans s’acharner sur l’adversaire à terre. On se mesurait. Après avoir pris et donné des coups, il arrivait qu’on aille en boire un. Nous nous colletions entre adversaires, réservant le nom d’ennemis aux pays qui faisaient la guerre à la France. Une des choses qui m’ont frappé en 1968, c’est l’apparition des armes, des casques, des barres de fer. Ces jeunes gens qui parlaient d’amour faisaient la guerre dans la rue. Depuis, dans les cours de récréation, dans la cage d’escalier des cités, des gamins de quatorze ans se mettent à dix pour en descendre un et l’achever à terre à coups de godillots, ils filment tout cela et le montrent avec fierté sur les réseaux sociaux. Leurs grands frères font la même chose avec des policiers. Nous sommes entrés dans une ère de barbarie et les jeunes gens d’Ordre nouveau y ont contribué : je ne dis pas qu’ils en sont responsables, c’est l’extrême gauche qui est à l’origine de la chose, mais ils y ont consenti. Si cela n’ôte rien à leur courage, quoi qu’ils puissent en dire, ils sont d’une époque de décadence. C’est pourquoi je ne saurais condamner Georges Bidault d’avoir commis à leur propos la première rupture du Front National.
En dehors de convergences momentanées, l’histoire du FN n’est donc pas celle d’un parti violent, et celle de Jean-Marie Le Pen n’est pas non plus celle d’un homme politique avide de castagne gratuite.
Les sources qui font de Jean-Marie Le Pen un soudard avide de violence gratuite ne sont pas non plus réputées pour leur fiabilité, ainsi de Pierre Joxe qui assurait “Je connais Jean-Marie Le Pen comme provocateur depuis que j’étais à la fac de droit, il y a trente ans. Il était déjà un raciste et un provocateur”… tout en n’étant arrivé à la fac que lorsque Jean-Marie Le Pen l’avait déjà quittée pour l’armée !
Le souci fondamental du Menhir, à tort ou à raison, était de rassembler le peuple et le défendre, pas s’en prendre à des gens pour le plaisir. On peut faire remonter ce souci à sa jeunesse sous l’Occupation, à sa douleur de voir un pays déchiré, tendu pendant et après la guerre par les rancœurs et les soupçons. Les tensions d’un jour, pour Jean-Marie Le Pen, ne devaient jamais conduire à des haines irrémédiables entre les Français. Et ceux qui subiront le plus de haine dans l’histoire du FN, ce sont sans doute ses membres.
Même d’apparents accès de violence du président du FN ne sortent pas de nulle part : le célèbre “Durafour crématoire” est une réponse, pouvant certes être jugée déplacée, à un appel de Michel Durafour à “exterminer le Front National”, expression autrement plus explicite. Et quand ils sont les plus malvenus, ils sont souvent réparés rapidement : dès le lendemain de la malheureuse sortie sur le “détail”, Jean-Marie Le Pen aura présenté ses excuses à la communauté juive. Mais cela, les médias l’auront oublié dans le tapage qui s’ensuivit.
Dans les conclusions de ses Mémoires, le Menhir déplore d’ailleurs la montée de la violence dans la société, signe pour lui de déclin plus que d’un espoir de purge que l’on prête souvent dans les médias à “l’extrême droite”.