Avant d’être une affaire d’homme de l’un ou l’autre parti, l’histoire de Jean-Marie Le Pen pendant la guerre est celle d’un enfant qui grandit dans un pays défait. Pour lui, élevé avec des valeurs traditionnelles de patriotisme et de loyauté, français de Bretagne peu touché par un régionalisme allié aux Allemands, la situation ne pose guère de question : l’ennemi c’est l’occupant.
On expédie souvent un peu vite le sujet en réduisant cette période à une tentative de s’engager chez les FFI fin 1944, refusée en raison de son jeune âge. Néanmoins le collégien Le Pen est une graine de résistant à de multiples reprises.
Auparavant, c’est le strict collège des jésuites de Vannes qui accueillait ses ardeurs, limitées par une discipline de fer à l’étude et au sport. Chez les élèves, raconte Jean-Marie Le Pen dans ses Mémoires, la politique est limitée à quelques insignes gaullistes ou pétainistes sur les vestes des élèves.
Pendant les hivers 41 et 42, il vit le rationnement, au milieu des camarades riches qui se font passer des colis de nourriture au marché noir. Sur De Gaulle et Pétain, il écrit : “Pour moi, je croyais naïvement, comme des millions de Français, et comme l’un des résistants les plus connus, le colonel Rémy, à un accord tacite entre les deux soldats, le vieux et le jeune, l’épée et le bouclier unis pour duper l’ennemi et servir la France. Cette illusion devait fondre plus tard à l’écoute de la BBC”.
En 1943, fini le cocon jésuite : les Allemands réquisitionnent le collège et Jean-Marie est renvoyé à La Trinité-sur-Mer. Jean Le Pen est mort à l’été 42, après que son bateau de pêche ait percuté une mine, laissant à son fils une résolution brûlante : c’est à cause des Allemands que le père est mort, il se jure d’en tuer un.
Contre l’avis de sa mère, il garde à la maison le fusil et le pistolet de son père, au risque d’être fusillés par les Allemands s’ils étaient découverts. En cachette, Jean-Marie Le Pen salue le drapeau français dans son grenier avec ses amis.
Les troupes d’occupation deviennent de plus en plus impopulaires au fil des représailles et mouvements de troupes. Les Anglais restent cependant très détestés, à cause des bombardements sur les villes. La société est tendue.
A l’annonce du débarquement de 1944, la fièvre s’empare des garçons de La Trinité. Jean-Marie obtient d’un ancien matelot de son père les renseignements pour rejoindre le maquis. Mais sa mère est terrifiée à l’idée de perdre le fils après le mari : la nuit où il doit partir, elle s’enferme dans sa chambre avec les pantalons de l’adolescent, qui doit passer son tour.
Dès le lendemain, il part quand même avec un camarade. Un premier point de rendez-vous ayant été attaqué par les Allemands, ils dorment dans une grange puis rejoignent enfin un groupe de résistants. Après une nuit dans la forêt, le tir s’engage avec les Allemands. Chargés de porter des caisses de munitions, Le Pen et son ami sont ensuite armés, et tirent leurs premiers coups de feu. Autour d’eux, quelques parachutistes de la France Libre, et deux officiers : Michel de Camaret, royaliste et futur député FN, et un membre de la famille Denys-Cochin, qui sera conseiller municipal à Paris après la Libération.
Le Pen mémorialiste en conclut : “Vers dix heures du soir nous parvint l’ordre de rentrer chez nous. Voilà tout ce que j’ai vu et fait à Saint-Marcel. C’est-à-dire pas grandchose. Ce ne fut pas Valmy, pas Waterloo non plus, j’ai encore moins compris ce qui se passait que Fabrice del Dongo. Quand même, j’ai eu le bonheur de voir des Français combattre ensemble l’ennemi, sans se chicorner entre eux. “
Rentré chez sa mère, il est accueilli par une bonne claque. En sortant chercher des victuailles, ils manquent d’être pris et fusillés avec un groupe de civils par des Géorgiens de la Wehrmacht.
Plus tard, il voit avec ses amis un soldat allemand passer près du village. Ils commencent à le suivre, armés du pistolet de Jean Le Pen. C’est l’heure de venger le père. Pourtant, Jean-Marie n’ose pas, par manque de courage ou par esprit chevaleresque. Et c’est finalement pour le mieux, avec trois bateaux allemands encore à quai pleins de soldats prêts à massacrer en représailles au moindre fait de résistance dans la ville.
A mesure que les Alliés avancent, les Allemands paniquent, et bombardent Vannes avant de partir. Les obus passent dans le ciel au-dessus de La Trinité. Après le départ des occupants, Jean-Marie aide au déminage des plages. Il est scandalisé par l’épuration sauvage, par les “résistants de la dernière heure” qui s’acharnent sur des femmes après avoir été passifs. L’injustice, l’acharnement sur des faibles l’amènent à se bagarrer avec quelques-uns de ces “pseudo-patriotes”.
Sa mère refuse de lui permettre l’enrôlement dans les fusiliers marins, alors vient la tentative de rejoindre les corps francs : “Qu’à cela ne tienne, je filai à Sainte-Anne-d’Auray en novembre 1944 pour m’engager dans le corps franc commandé par le colonel Valin de la Vaissière. Celui-ci, avec beaucoup d’humanité et de bon sens, me représenta que je ferais mieux de rentrer chez moi, soutenir ma mère et préparer mon baccalauréat. J’en fus très dépité. À quelque temps de là, il écarta de son régiment un résistant qui le prit mal et lui logea une balle dans le crâne, tuant aussi le commandant Verrier. C’étaient des durs, plutôt rouges, un mélange FFI-FTP. Je ne sais pas ce que j’aurais donné, chez les cocos. Cela aurait peut-être changé ma vie, qui sait ?”
Puis le rideau tombe sur la guerre, les classes reprennent, la jeunesse de Jean-Marie aussi, qui va bientôt partir à Paris. Mais au fond de lui s’est enraciné l’amour de la France, et la résolution de rassembler le peuple, de ne plus voir les citoyens se chicorner.